Entretien avec kako

 Ce nouvel opus « Le tour des origines d’un nouveau monde, Made in India » fait suite à « Made in China » présenté en 2011. Quel sens donnez-vous à ce Tour des origines d’un nouveau monde ?

 Ce travail a démarré en 2008. J’ai entrepris une série de voyages dans les contrées racines de ce nouveau monde qu’est La Réunion. Je m’interroge sur l’idée d’un monde né récemment de la fusion forcée d’origines diverses. La Réunion reflète un métissage exceptionnel, et de ce métissage est née l’identité réunionnaise. C’est sur la construction de cette identité que je m’interroge.

Se pose la question de ce qui nous constitue. Je rencontre des gens, ils auraient pu faire partie de ce nouveau monde, mais le hasard de l’histoire a fait qu’ils sont restés dans ces régions. J’aurais pu moi aussi êtrede cette origine. Quels sont les liens qui nous unissent ?

 Comment abordez-vous cette réflexion dans votre démarche artistique ?

 Lorsque j’ai entamé cette démarche, j’ai introduit la photo dans mon travail.Je commence toujours par un travail photographique, qui inévitablement saisit l’instant. Je capte une réalité telle quelle. Dans le cadre imposé par la photo, je viens exposer, superposer, mon obsession : l’arbre, l’être figé. Se fixer un cadre, c’est laisser la possibilité à ce qui nous constitue d’être interpelé. Pourquoi cette image, pourquoi cet instant ? Moi, élément de ce nouveau monde, qu’est ce qui me fait écho ? La réalité est faite de multiples images.

En Inde, la multiplicité est frappante. La réalité est envahie d’objets, d’images, de couleurs.

 Qu’avez-vous ressenti en travaillant sur cette étape en Inde ?

 L’Inde est un pays extrêmement complexe. Il serait plus juste de parler des Indes. C’est comme un millefeuille culturel, une mosaïque de langues, de religions, de traditions. L’idéal indien est fondamentalement inégalitaire et notre vision occidentale en est bousculée. L’indianiste Michel Angotdéclare « En Occident, nous avons un idéal égalitaire avec une pratique inégalitaire ; en Inde, le plus pauvre voisine avec le plus riche, et chacun a sa place. En Occident, on voit des individus forts avec des relations faibles ; l'Inde est faite d'individus faibles liés par des relations fortes. »Nous avons peut-être hérité de cette capacité à vivre ensemble malgré nos différences, de cet attachement à la relation entre les Hommes. 

 La couleur est prédominante dans vos tableaux et notamment dans la série « Polychromes », est-ce une autre caractéristique de l’Inde ?

 La couleur est, en effet, un élément extrêmement présent. C’est comme une nécessité. C’est une caractéristique forte de ces contrées origines. Par exemple, il existe une fête descouleurs, la Holi, durant laquelle les personnes  se couvrent de pigments, sont, deviennent, incarnent les couleurs… Une réincarnation en couleur. C’est une explosion, un hymne aux couleurs oùchacune d’elles  a une signification. En tant que plasticien je me suis interrogé sur la place de la couleur et sur la manière de traduire son importance dans la culture indienne. La série « Polychromes » présente des objets du quotidien, parfois amoncelés, parfois superposés, jusqu’à en perdre le sens et la réalité, pour n’en garder que la couleur. Je viens ensuite y apposer une obsession, l’Arbre. « Etrange et inimaginable », comme Hugues Weiss aimait à qualifier le travail artistique.

J’ai souhaité présenter cette série dans un espace clos, tapissé de Polychromes du sol au plafond, afin de placer le visiteur dans les objets, au centre de la couleur, au milieu de ce que j’ai pu percevoir.

 

 On retrouve dans vos toiles, en guise de fil conducteur graphique, les éléments d’une scène épique. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?

 L’ampleur de l’imaginaire collectif est un autre élément qui a marqué mon étape indienne. L’imaginaire renvoie à l’appartenance et l’appartenance à l’identitaire. Dans un pays si vaste, aux multiples coutumes, où sont parlées plusieurs langues officielles et de nombreux dialectes, j’ai perçu l’imaginaire un peu comme le ciment de l’Inde. J’ai choisi de représenter cet imaginaire par une scène où les gens vivent, combattent, inspirée des bas reliefs de Mamallapuram. Des fragments sont sérigraphiés sur les toiles, rappelant ce point commun, cet imaginaire partagé. Partager un imaginaire permet de vivre ensemble, même si nous ne sommes pas de la même couleur, même si nous ne prions pas le même dieu. Partager, dans un monde de plus en plus globalisé, où l’espace et le temps s’estompent, développe une appartenance qui finit par constituer une identité. Il me semble que notre nouveau monde tend vers cela.

 On note une présence féminine récurrente dans vos tableaux, est-ce le reflet d’une perception particulière ?

 Effectivement, les femmes qui marchent m’ont fasciné. Les femmes dans la rue, les femmes dans la vie.  Elles ont un lien indéniable avec cette terre. J’ai regardé des heures durant les femmes indiennes s’asseoir à même le sol, marcher souvent pieds nus. A mon sens, cet équilibre entre la femme et la terre résume l’humanité.Son rôle dans la société est lui aussi remarquable, bien que paradoxal.Les femmes indiennes occupent parfois le devant de la scène politique, médiatique, économique, alors que beaucoup d’entre elles continuent à être mariées à des hommes qu’elles ne connaissent pas et n’ont pas choisis. Ce grand écart de la condition de la femme indienne m’interpelle. Mais je retiens surtout que ce sont les femmes qui forment le moteur économique, politique et culturel, elles occupent toutes les places de la société indienne, ce sont elles qui font la vie.

J’ai essayé d’introduire, sous diverses formes, cette présence dans mon travail. Je soulève également la question de l’influence, pour notre nouveau monde, du rôle de la femme de ces contrées origines. Je n’ai pas de réponse, mais j’ai la certitude que le monde de demain, un nouveau monde, sera féminin.

 

 D’où une collaboration avec NirvedaAlleck et NaliniTreebhoobun ?

 J’ai eu la chance de rencontrerNalini et Nirveda.artistes mauriciennes, issues elles aussi d’un nouveau monde. Par leur origine indienne, elles ont gardé un lien très fort avec cette contrée origine et une relation concrète avec la réalité indienne. Réaliser une installation sous influence volontaire des ces deux artistes m’a paru intéressant. Je suis admiratif de leur travail mais aussi fasciné par le regard qu’elles portent sur le monde qui les entoure.

 Vous avez également sollicité WilhiamZitte et BernarPayet pour l’écriture de textes…

L’apport d’autres artistes dans mon travail, la confrontation des points de vue, est très intéressant et très enrichissant. Si WilhiamZitte, plasticien, a écrit la préface de ce catalogue, c’est parce que je pense qu’il est un personnage singulier du monde artistique réunionnais. Quant à BernarPayet, j’ai été fortement interpelé par ses textesdu recueil « Dannlonbraz le mo ». Poète d’un nouveau monde, peut-être aussi fasciné par l’Inde, son texte « Le chant de l’eau » entre en résonance avec mon questionnement et fait écho à ce qui est donné à voir dans cette exposition.

 Après la Chine et l’Inde, vers quelles contrées origines allez-vous vous orienter ?

 Mon tour des origines d’un nouveau monde me porte de l’Orient vers l’Occident… donc une île… une grande.